Le “Geido”, la voie des arts et le parcours initiatique de l’élève
Pour commencer notre conversation, nous élaborons sur le concept japonais de “Geido”, la voie des arts. La vision de “l’art” au Japon est plus vaste que celle que nous avons en Occident. Là-bas, un artisan fait de l’art, mais également les guerriers qui maîtrisent leur outil, qu’ils soient sabreurs ou tireurs à l’art.
Comme il s’agit de disciplines si opposées, on se demande si chacun de ces artisans/artistes vit le même cheminement dans son apprentissage. Pour Micka Illouz, s’il y a des différences culturelles sur l’approche de l’art entre l’Asie et l’Occident, le cheminement reste similaire :
- l’apprenti apprend la technique
- Il va chercher chez des artisans plus compétents des astuces pour améliorer son art par l’observation de leur travail.
- Il pratique et s’améliore par lui-même.
C’est ce long parcours qui lui permet de s’élever dans son art et de devenir compétent.
Comment retrouver du sens dans nos métiers modernes et savoir se débrouiller dans notre monde moderne ?
Mais aujourd’hui, beaucoup de métiers ne permettent pas de connaître ce parcours de vie. Pourtant, on peut mettre de “l’art” dans ce qu’on fait, cela dépend simplement avec quelle passion on fait notre métier et on cherche à se challenger et développer nos talents.
Nous nous mettons d’accord sur le fait que de nombreux métiers aujourd’hui manquent d’une dimension manuelle, reliée au mouvement; qu’on se spécialise de plus en plus, sans toucher à d’autres domaines.
Micka nous cite alors un passage de Starship Troopers de Robert A. Heinlein :
“Un être humain devrait savoir changer une couche-culotte, planifier une invasion, égorger un cochon, manœuvrer un navire, concevoir un bâtiment, écrire un sonnet, faire un bilan comptable, monter un mur, réduire une fracture, soutenir un mourant, prendre des ordres, donner des ordres, coopérer, agir seul, résoudre des équations, analyser un nouveau problème, répandre de l’engrais, programmer un ordinateur, cuisiner un bon repas, se battre efficacement et mourir bravement.
La spécialisation, c’est bon pour les insectes.”
Pour lui, bien comprendre son monde et pouvoir s’en sortir, c’est savoir un peu tout faire. L’idée est d’être le moins dépendant possible et être en mesure de se débrouiller dans un maximum de situations.
Généraliste vs Spécialiste, et concept de la Praxis.
Dans cette thématique, Micka parle de notre recherche de certitudes. A désirer des solutions à nos problèmes, on en vient à se tourner vers des personnes certaines qu’elles vont pouvoir nous aider. Dans le monde des arts martiaux, le règne de la certitude est présent aussi : chaque professeur est persuadé que son école possède la bonne approche.
Mais pour Micka, avoir des certitudes ne mènent pas loin : il faut garder du doute et de l’humilité et accepter d’ouvrir son regard pour réaliser que nos approches peuvent être remises en question, qu’on peut trouver des réponses à nos questions dans d’autres disciplines ou même d’accepter que des personnes que nous n’apprécions pas du tout peuvent nous enseigner quelque chose.
Car la recherche de certitudes mène à la déception : la clé pour l’éviter serait alors d’arrêter d’avoir des attentes et de simplement pratiquer ce qui nous fait sans intention de résultats derrière, sans attentes. Se focaliser sur l’action et rien d’autre : c’est le concept de la Praxis.
Le métier de Maître d’Armes et la Théorie des 5 Cercles
Pour Micka, un maître d’armes, c’est un combattant complet, qui possède une spécialisation dans un domaine et qui voue son existence à la recherche du combat.
Il nous parle de la symbolique de son logo qui représente cinq cercles. Ils se réfèrent à la Théorie des Cinq Cercles, inspirée du Traité des Cinq Roues de Musashi Miyamoto. Ces cercles représentent ce que l’on est capable de faire avec son corps : plus l’on passe de cercles, plus on augmente la largeur de sa kinesphère (la kinésphère désigne l’espace accessible directement aux membres d’une personne, la limite étant l’extrémité de ses doigts ou de ses pieds tendus).
Le 1er cercle : c’est tout ce qui se trouve à l’intérieur de soi, tout ce qu’on y met : nos connaissances, notre mindset, nos comportements, nos émotions.
Le 2e cercle : ce qu’on est capable de faire à main nue.
Le 3e cercle : c’est là où on commence à mettre des orthèses dans ses mains : on commence à utiliser le bâton, l’épée…
Le 4e cercle : quand on utilise des armes de poing, notamment l’épée moderne.
Le 5e cercle : quand on utilise des armes d’épaule.
Qu’est-ce que le Zen ? Peut-on commencer une pratique spirituelle sans un travail sur soi préalable ?
Le Zen japonais vient à l’origine d’une forme du bouddhisme chinois appelé Chán qui a été ramené de Chine au Japon par Dogen. L’objectif final du Zen est de permettre l’éveil spirituel (satori) à grande échelle, par la suppression de l’égo.
Cette pratique n’est pas sans danger car pour supprimer l’égo, on vient le tourmenter. Micka nous alerte donc sur les risques de suicide ou de dépression, car le Zen, c’est aussi traverser des émotions fortes, vivre sa solitude et ses tourments, et lâcher-prise dessus. Et pour une personne qui a du mal à faire preuve de bienveillance envers elle-même, ni ne sait être suffisamment ferme, le Zen est une étape trop grande. Et c’est surtout le cas pour les Occidentaux.
Bien sûr, il existe d’autres outils pour parvenir individuellement à mieux se comprendre et à chercher ce qui se passe au fond de soi, comme la méditation. Et si Micka nous évoque sa pratique du ritsu zen (la méditation debout), la méthode la plus efficace pour lui reste la privation sensorielle en caisson d’isolation, où il reste plus d’une heure dans le noir à flotter dans l’eau.
Cependant, même ces pratiques ne peuvent pas se faire sans un travail de fond.
Selon Micka, la seule voie actuelle pour l’Occident qui peut amener les gens à élever leur niveau de conscience, c’est la psychanalyse. Aller affronter ses démons avec l’aide d’un thérapeute (de préférence jungien), pousser son réflexe introspectif, se placer en observateur de ce qui nous arrive. Micka nous invite alors à visionner les conférences de Michel Onfray sur la contre histoire de la philosophie pour nous inciter à se poser des questions sur les ramifications de nos comportements.
Car les disciplines comme le Zen, la méditation ou même le yoga, viennent à l’origine de cultures plus spirituelles. Et ceux qui ont grandi dans ce monde ont déjà effectué un travail sur eux-mêmes. Mais pour les Occidentaux qui, sociétalement, se sont coupés pour la plupart de la spiritualité, il est facile d’avoir l’illusion d’une avancée spirituelle après avoir passé un mois dans un ashram, sans comprendre qu’il s’agisse du travail d’une vie.
L’appropriation culturelle de l’Occident sur les Psychédéliques et les Spiritualités Orientales
Le Zen vu en Occident est rempli d’idées reçues et de fausses perceptions, tout comme le fantasme d’autres peuples, notamment les Spartiates ou les Samouraïs. Quand on s’engage dans une discipline, il faut considérer la part de fantasme et aller chercher la vérité. Le Zen n’est pas une solution à notre société : ça ne conviendra pas à tout le monde.
C’est la même chose avec les outils psychédéliques : les Occidentaux les utilisent sans savoir à quoi ils servent réellement. Ils en consomment sans contexte, pour l’expérience. Mais dans les civilisations concernées, on les utilisait surtout à des fins médicinales ou à des moments charnières de la vie.
Micka, après nous avoir raconté son expérience ratée pendant une retraite de transe cognitive auto induite, nous met en garde contre ces “apprentis sorciers” qui veulent nous enseigner des pratiques sans les incarner réellement, ceux qui s’attachent aux phénomènes sans réellement comprendre l’essence de ces pratiques.
Les cours d’arts martiaux nous préparent-ils à la réalité du combat ?
L’un des problèmes abordés par Micka dans le monde des Arts Martiaux est cette déconnexion avec ce que les professeurs enseignent dans un cadre donné et la réalité d’un combat. Très peu de personnes ont une expérience réelle de ce qu’est combattre quelqu’un qui va chercher à faire du mal.
Il rappelle que les cours d’arts martiaux demeurent de la théorie et vont apporter des outils qui, peut-être, permettront de trouver des moyens de se défendre. Car la réalité d’un combat c’est parfois de réussir à donner des coups, parfois d’en rater et de s’en prendre, parfois de devoir s’enfuir ou de se retrouver en sous-nombre. L’expérience du combat, c’est aussi découvrir notre rapport à la douleur et à la violence.
C’est avec Guillaume Morel que nous parlions aussi de situations d’agression et de comment gérer notre égo et nos émotions dans un tel contexte.
Apprendre des techniques martiales permet de se sentir moins fragile, mais il est important de garder l’humilité de se dire que même avec de tels outils, on ne va pas forcément se sortir de chaque situation.
Micka nous mentionne le livre La mort comme hypothèse de travail, qui nous confronte à ce qu’est la réelle expérience du combat, à s’exposer à la possibilité d’être blessé ou de mourir sous les coups de son adversaire, tout en cherchant à en limiter au maximum la probabilité.
“Le prêt-à-porter pour la bagarre, ça n’existe pas”
On ne sait pas comment on va réagir, l’important est de gérer son stress et ses émotions d’abord. Le fond est plus important que la forme.
Est-ce si important que le cinéma ne nous montre pas une vision réelle du combat ?
Le cinéma d’action a pour mission de nous vendre du rêve : les héros sont trop solides, trop endurants, ça ne reflète pas la vraie vie.
Pourtant, ce qui compte, ce sont les messages secondaires et les morales. Dans les animés japonais, comme Dragon Ball Z ou Naruto, le message derrière est qu’on n’arrive à son objectif qu’avec de l’entrainement. C’est un bon message à transmettre aux enfants : pas forcément de devenir un héros, mais d’avoir les capacités de se débrouiller.
Qu’est-ce qu’est véritablement un guerrier ?
Comment l’image du guerrier, du militaire, a-t-elle changé ? Aujourd’hui, dans les médias, le militaire est surtout un assassin, celui qui est capable et sait tuer. Nous sommes loin de la conception guerrière du passé qui avait pour mission d’accomplir quelque chose qui le dépassait, comme sauver sa patrie.
Pour Micka, il faut revenir à la racine de ce qu’est véritablement un guerrier. Il peut être autre chose qu’un militaire, tant qu’il rend hommage à la justice, qu’il se bat pour ses idées, qui est digne et ne se fourvoie pas sur lui-même.
Le guerrier, c’est aussi celui qui se prépare à la guerre mais ne la désire pas forcément. Cela fait écho à l’ouvrage Le guerrier pacifique où Dan Millman ne considère pas seulement le guerrier comme celui qui sait se battre mais surtout comme celui qui sait quand ne pas le faire.
Micka relie ce thème au iaido, l’art de dégainer le sabre : les armes mènent parfois vers des situations de non-retour parfois. Il nous conte alors l’histoire d’un sabreur de l’école Kashima qui avait décidé de ne plus sortir avec son sabre pour s’extraire du sentiment de provocation qu’induit de sortir armé.
Car le vrai guerrier, c’est celui qui est prêt à affronter la violence mais qui l’exècre car il sait ce qu’elle implique.
La violence est-elle mauvaise en soi ?
L’homme en mesure d’être violent fait peur à la société. On a tendance à voir la violence de manière péjorative : mais par définition, la violence est simplement exercer une contrainte sur quelque chose. La nature est violente, mais elle n’est pas méchante. Confondre violence et méchanceté est dangereux, car cela pousse la société à cacher la violence. Mais elle existe : et puisqu’il y aura toujours des gens mauvais, il en faut des gentils pour lutter contre eux.
Nos conceptions judéo-chrétiennes nous poussent à accepter la violence qui nous arrive et à s’empêcher de la reproduire. Mais pour Micka, il faut que les gens prennent conscience que leurs actes violents ont des conséquences pour les faire sortir de leur sentiment d’impunité et leur faire prendre conscience de la réalité. Un enfant qui se fait taper doit savoir se défendre.
Éduquer les gens à réagir à des situations de violence est nécessaire, puisqu’ils ne savent pas le faire. On leur a tellement dit que c’était dangereux d’être violent qu’ils sont désormais bridés. Mais la violence s’apprivoise et se comprend et si seuls les méchants ont les capacités à la gérer, les problèmes émergent.
Car on peut être violent et bienveillant. David Manise nous parle longuement du lien étroit entre la compassion et la bagarre : la violence peut être pédagogique et remettre les idées en place.
Pour parler de lui, Micka nous explique bien les choses : « Si un jour il t’en met une c’est pour t’éduquer. C’est pas pour te faire du mal. Si par contre il a besoin de te faire du mal, il le fera et sera en mesure de le faire. Mais uniquement parce que tu l’auras mérité. Mais le reste du temps, c’est éducatif, c’est pédagogique, c’est un geste de secourisme »