Quelle est la meilleure approche pour avoir un corps solide et capable de tout faire ?
La plupart des gens pensent qu’être généraliste, c’est faire un peu de tout. Mais pour Nicolas et moi, il s’agit plutôt de devenir une succession de différents spécialistes : foncer dans une pratique pendant trois ans, puis passer à une autre une fois un niveau de maîtrise satisfaisant atteint. On ne parle pas forcément de délaisser ses anciennes pratiques, mais d’utiliser leurs bases pour explorer davantage la nouvelle.
Mais certaines pratiques sont plus difficilement accessibles car il manque parfois au corps certaines capacités. C’est pourquoi Nicolas conseille de d’abord travailler sur deux fondations avant de vouloir attaquer les pratiques plus complexes : la force et la masse musculaire sur de grandes amplitudes. Si les deux sont liées, elles sont différentes. Le but est d’optimiser la force par rapport au poids de corps. Pour y arriver, on va aller travailler sur les tissus musculaires, le système nerveux, les tendons, les articulations, la vitesse, la puissance.
Quel conseil pour les femmes qui n’osent pas développer leur force par peur de “gonfler” ? Pour Nicolas, il ne faut pas avoir peur car créer de la masse musculaire prend du temps et demande beaucoup d’efforts. David Manise aborde ce même sujet et rassure: “La force ne dépend pas du volume des muscles”.
Pourtant, pour Nicolas, il faut quand même avoir une certaine masse car, associée à la force, elle est importante pour se protéger. Sans cette base, on se blesse facilement et on progresse beaucoup moins vite.
Quel est le meilleur chemin pour un jeune qui veut développer son corps ?
Selon Nicolas, il n’y a pas qu’une voie pour y arriver. Mais la priorité, c’est de s’amuser et de trouver des activités qui plaisent avant tout. Si un adulte peut enseigner les bases de la musculation, comme les squats, c’est bien, mais ce n’est pas la priorité. Ça peut l’être plus tard, une fois que le corps se sera développé.
Jeune, on acquiert plus rapidement des compétences techniques : c’est le moment d’explorer sa coordination, sa mobilité, son jeu, davantage que la force.
La réathlétisation : par quoi commencer pour s’y mettre sérieusement ?
C’est souvent une question abordée par des personnes d’un certain âge, de plus d’une cinquantaine d’années.
Pour Nicolas, ça dépend de la dynamique de la personne : si elle veut s’y mettre pour les années à venir, l’idée est de retravailler les fondations avec la force et la masse musculaire. Ce ne sera pas aussi drôle que de faire des mussle up ou des animal flow, mais ça permettra de les faire de manière efficace par la suite. Si la personne est prête à passer par ce chemin fastidieux, elle pourra regagner une liberté de mouvement.
Mais si l’objectif est quelque chose de précis, il est préférable d’aller explorer directement la discipline désirée, quitte à se rendre compte plus tard que travailler les bases est important. Il faut laisser les gens créer leur propre parcours !
Beaucoup de personnes inactives ressentent un poids par rapport à leur manière avec laquelle ils ont traité leur corps par le passé. Mais pour Nicolas, le chemin de la vie est semé d’embûches et parvenir à se remettre en question est une chose positive. Car il n’est jamais trop tard pour reprendre. “Tant que t’es pas mort, c’est pas tard”. Commencer tardivement permet d’avoir un niveau de maturité qui n’aurait pas été là par le passé.
L’une de mes formations de la MOUVERS Academy s’adresse à cette problématique à travers des exercices minimalistes et accessibles de mobilité articulaire et de force pour aider les personnes à devenir plus souples et plus fortes mêmes après une longue période d’inactivité sportive.
Blessure au genou : Combien de temps pour guérir et ne plus avoir mal
Nicolas nous parle de sa blessure au genou qui lui a permis d’évoluer dans sa pratique car elle l’a poussé à sortir de sa bulle et réaliser qu’il existait des pratiques autres que l’haltérophilie. “Ma blessure est l’une des meilleures choses qui me soient arrivés”.
Il nous raconte le parcours de guérison, de la longue période où il a essayé d’ignorer la blessure en continuant les compétitions, aux diagnostics incertains ne concluant à rien qui l’ont poussé à travailler cette guérison par lui-même pendant trois ans, à travers le mouvement. Il s’inspire du travail de Keegan Smith et de son concept d’athletic range : travailler les grandes et petites amplitudes, changer le volume et la densité des exercices pour renforcer tendons et articulations avant tout. Depuis que Nicolas travaille ainsi, il sent que ses performances changent.
Par rapport à la majorité des gens qui cherchent des solutions à leurs blessures auprès de personnes extérieures et qui se mettent à détester leur partie blessée, lui et moi avons une autre approche. Pour nous, le rapport avec la blessure est intéressant: il pousse à reconsidérer un dialogue avec son corps, d’aller voir ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut plus faire. C’est une chance de reprendre la responsabilité sur son propre corps et de le redécouvrir. Nous sommes les seuls à pouvoir savoir ce qui se passe.
Dans cette thématique de la réhabilitation du corps, Agathe Philbe nous parle longuement de son expérience après son accident et du retard des centres de rééducation dans leur prise en charge.
L’importance d’être conscient de ses mouvements à chaque instant
Nous abordons aussi le mouvement comme une manière d’être : la responsabilité de son corps est permanente. La relation au corps, c’est au-delà d’une séance de mobilité d’une heure. C’est mettre de la conscience dans nos mouvements à chaque moment : quand on s’assoit, quand on marche, quand on se tient debout…
“Il faut arrêter de chercher la recette miracle et la pilule magique”. Mais prendre conscience de tout semble impossible pour un débutant. Comment commencer à se reprendre en main ?
Pour Nicolas, on va toujours faire des erreurs. Il faut simplement commencer quelque part, mettre le pied à l’étrier dans un domaine, l’apprentissage se fera au fur et à mesure, l’exploration se fera progressivement. “Il vaut mieux faire et corriger, que rien faire”.
Comment fonctionne l’application « The Motion Concept »
Avec l’application, Nicolas veut donner un outil pour aider et faciliter l’accès au mouvement aux gens. Certaines séances sont ciblées selon les objectifs de chacun, d’autres sont des protocoles sur plusieurs semaines. Le plus, c’est que ces protocoles s’adaptent aux capacités de chacun, selon ce dont ils sont déjà capables de faire ou pas.
En fonction de ce que l’élève fait chaque semaine, les protocoles s’adaptent et se complexifient, selon la méthode Kaizen. Avancer avec une petite marge de progression permet de garder la motivation.
Cela permet de résonner avec la volonté de Nicolas de former des athlètes complets, avec un minimum de risques de blessures. Pour lui, explorer est un plaisir mais la progression est indispensable.
Progression physique : Comment ne pas stagner sur un plateau ?
C’est l’une des problématiques majeures des mouvers. Mais le plateau est une étape nécessaire : il faut se préparer à ça. Pour sortir d’un plateau, il faut l’accepter et essayer d’autres techniques ou travailler différemment en termes de routine, de rythmes, de densité. Bouger sur autre chose, changer de cycles, permet de garder une progression. Et quand on revient sur notre première pratique, le plateau passe.
Nicolas insiste beaucoup sur l’intention derrière le mouvement : quel est l’objectif derrière la pratique sur laquelle on se concentre ? Trouver son objectif permet de trouver un large panel de mouvements différents à apprendre pour y parvenir.
Et s’il n’y a pas de mouvements différents à travailler ? Qu’importe ce qu’on pratique, les bénéfices d’apprendre des disciplines différentes se verront sur le long terme.
Bodybuilding : Comment l’isolement est devenu un mythe ?
Souvent, on associe un exercice avec une zone musculaire précise. Mais le corps est constamment mobilisé, l’isolement est un mythe. Si on veut développer précisément une partie du corps, il faut comprendre qu’on aura toujours besoin d’autres parties du corps autour. Il faut voir les mouvements par capacité : qu’est-ce que je veux être capable de faire ou pas ?
Si Nicolas cible des parties de son corps, c’est notamment ses articulations pour mieux les renforcer. Car c’est beaucoup plus rentable de cibler les capacités fonctionnelles du corps plutôt que l’esthétique. Seulement, les gens pensent à l’envers, par ignorance, et ne se concentrent que sur l’esthétique.
Une fois de plus, Nicolas invite à se questionner : qu’est-ce qu’on veut vraiment ? La santé du corps, la capacité de bouger, d’être bien dans son corps ? L’esthétisme seul ? Faire du MMA ? Chacun est libre d’avoir l’objectif qu’il souhaite, mais il doit accepter et garder en tête que chaque objectif a ses conséquences, quelles soient bonnes ou mauvaises sur le long terme.
Nous parlons justement avec Mehdi Jaouadi des dommages du sport et de cette mentalité de “combattre à tout prix” et d’en accepter les risques.
Quelles sont les influences (philosophie, voyage…) de Nicolas ?
Chaque année, Nicolas s’entraîne de manière différente au gré des rencontres et des inspirations de certaines “idoles”. Il est très sensible à l’exemple: voir quelqu’un qu’il admire s’entraîner, montrer des mouvements et un savoir-faire influence sa manière d’aborder le mouvement.
Nicolas écoute aussi beaucoup de podcasts philosophiques, car il aime lier son approche de l’entraînement à de grands principes. Le stoïcisme et le nihilisme de Nietzsche l’ont beaucoup influencé. Il nous parle aussi de l’art du Geido et de se mettre en situation d’apprentissage pour être capable de tout faire : car si on en est capable, pourquoi ne pas l’apprendre ? Micka Illouz nous parle plus largement de cette “Voie des Arts” et son processus.
C’est aussi ce qui m’attire : toucher à tout, mais surtout avoir un niveau dans tout. Je mentionne le Dr Peter Attia qui a développé toute une approche sur la longévité, et qui est un véritable tout-à-tout : chirurgien, formateur, pilote, athlète… Dans la même veine, Nicolas nous parle de Tim Champion, une démonstration des parcours Ninja Warrior, capable de faire de l’escalade, de jongler à cinq balles, de tenir un iron cross… il est bon partout !
Nous abordons alors le sujet de la France, où il est mieux vu d’être spécialiste dans un seul domaine, car multiplier les expériences n’est pas considéré sérieusement. Pour Nicolas, avoir des spécialistes est utile pour une société organisée, mais pour l’humain, il y a une perte de potentiel. Un humain, pour lui, ne peut pas être satisfait à l’idée de ne faire qu’une chose. Par le passé, nous avions diverses compétences pour la survie : c’est dans nos gênes de chercher la multipotentialité.
Quels sont les nouveaux apprentissages de Nicolas ?
Au-delà du mouvement et du tir à l’arc qu’il pratique déjà, Nicolas nous parle du début de son apprentissage du piano. Lui qui n’a jamais touché à la musique mais qui adore l’écouter, il a décidé de se lancer le défi de l’apprendre.
Il souhaite aussi se tourner vers le chant plus tard. Lui qui a toujours considéré qu’il s’agissait d’une capacité que certains possédaient et d’autres non, il veut voir par lui-même si avec de l’entrainement, il peut réussir à accéder à un certain niveau et renouer avec un côté artistique qu’il a longtemps pensé ne pas avoir.
Pourquoi est-ce si important de trouver un équilibre Yin Yang dans sa vie ?
Je remarque que les activités de Nicolas sont beaucoup tournées vers le Yang, alors que celles vers lesquelles il veut se diriger sont de l’ordre du Yin, et je me demande s’il recherche un équilibre entre ces deux énergies.
Pour Nicolas, il ne va pas se sentir entièrement satisfait s’il fait trop de l’un ou trop de l’autre. Il aime foncer et aller vers la performance dans certaines pratiques, mais aussi profiter des temps de repos pour explorer d’autres activités, comme la musique ou la philosophie. Il ne se voit pas faire l’un sans l’autre. Comprendre des choses en profondeur ne peut pas se faire sans être connecté avec le monde matériel.
Lier le mouvement, l’activité physique à une activité artistique peut développer l’une et l’autre : Staiv Gentis en parle dans l’épisode 1 pour exprimer son art, on a besoin du bras et il faut savoir le faire bouger. Un corps faible et cassé ne va pas permettre de bien s’exprimer.
J’aborde le sujet de la Grèce antique, quand on privilégiait l’activité sportive d’abord, avant d’enseigner la philosophie à partir de trente ans. C’était cela qui créait des personnes vertueuses afin qu’elles puissent intervenir dans des situations injustes ou agir en conscience sans se donner l’excuse d’un corps faible. Nicolas poursuit en citant Nietzsche qui parle du corps qui produit les idées : “Un corps malade produira des idées malades”. On ne peut pas dissocier le corps et l’esprit.
Valorise-t-on plus les victimes dans le monde d’aujourd’hui ?
On continue sur le sujet de la victimisation qu’on a abordé par la suite avec Yacine Bouaissa. Les hommes valorisés par le passé étaient les hommes forts, vertueux, en contrôle. Mais aujourd’hui, Nicolas considère que les idoles sont les victimes, ceux qui n’ont rien, qui n’ont pas de chance, que l’empathie met sur un piédestal. On ignore les gens qui contribuent et s’élèvent pour se tourner vers ceux plus à plaindre.
Nicolas mentionne l’épisode du podcast du Précepteur parlant de la morale d’esclave de Nietzsche, où le faible prend le dessus sur le fort. On voit désormais la force et la puissance comme des choses mauvaises, et la vulnérabilité comme une chose positive à protéger absolument.
Pourtant, on peut se construire au-delà de ses misères : je parle du rôle du “déclassé”, l’aristocrate qui part agir pour le prolétaire, celui qui s’extrait de sa tribu et qui peut, véritablement, avoir de l’empathie pour les deux mondes. C’est à nous de nous développer dans la direction que l’on souhaite, peu importe nos backgrounds.
Tribalisme : Comment oser sortir des dogmes et exprimer ces idées ?
Beaucoup de domaines sont désormais politisés : la Movement Culture, le véganisme, le crossfit, le calisthenics… qui ont établi une série de règles à suivre et qui antagonisent ceux qui se risquent à dévier du chemin préétabli. Je prends l’exemple d’un athlète ayant été vegan pendant des années et qui hésitait à poster une vidéo sur sa reprise de la viande, par peur d’une réaction violente de sa communauté.
La Movement Culture, non pas dans sa source mais dans son application par de nombreux élèves, a cette même approche rigide : à trop prioriser le mouvement et la locomotion par rapport à la force, la marge de progression est limitée. Mais la force est non seulement une fondation, c’est aussi l’un des meilleurs outils pour apprendre la patience et la résilience. C’est difficile, ça prend du temps à se développer, mais une fois atteint un niveau suffisant, elle ouvre plus de portes que n’importe quoi d’autre.
Pour Nicolas, rien n’est blanc ou noir. Certaines disciplines se sont trop spécialisées qu’elles le veuillent ou non, ce qui le pousse à vouloir se mettre à un endroit hors des cases. Sa pratique est la sienne, il ne veut se baser que sur le résultat : qu’est-ce qui se passe au bout d’un moment ? Est-ce que ça marche ?
Comment devenir un athlète complet
Je mentionne un épisode du podcast de Joe Rogan avec Mat Fraser, un célèbre crossfiteur, qui parle de son background d’haltérophile et tout ce que ça lui a apporté. S’il a été aussi bon en crossfit, c’est aussi pour ses capacités apprises par le passé et sa mentalité. C’est la même chose avec Israel Adesanya, combattant de MMA, qui vient d’abord du monde de la danse et du kickboxing. C’est un danseur qui a utilisé tous les outils de la danse pour l’exprimer dans d’autres sports : le kickboxing, le taekwondo, la boxe… avant de faire du MMA. Atteindre un bon niveau, c’est aussi y aller progressivement, step by step, passer par des étapes qui finissent par nous mener ailleurs. Staiv Gentis nous parle de ce phénomène dans l’autre sens et comment il est passé du monde de la boxe à la danse.
Dédier du temps à des activités parallèles, le mouvement, la force, le contrôle du corps, la coordination… permet de mieux comprendre son corps, savoir pourquoi on se blesse quand on se blesse. C’est faire en sorte de mieux apprendre les choses, d’apprendre à apprendre, comme le transmet Ido Portal ou même à travers les kata. Elle permet d’agrandir sa grille de lecture de la pratique de mouvement et de ne pas se cantonner à une seule vision.
Cette vision de l’apprentissage par le sport, Jérémy Coron la partage, lui qui est si sensible à cet effort qu’est d’apprendre à apprendre.