Comment se déroule un casting, quand on est cascadeur ?
Cascadeur professionnel, Alex nous parle de cet univers comme d’un petit milieu où tout le monde se connaît. Un cascadeur entend parler des castings grâce à ses relations, auquel il peut se présenter si le casting est ouvert. Le casting qu’il a passé pour Uncharted était, lui, fermé, mais il a pu le passer sous recommandation de son ami Laurent Demianoff.
Pendant le casting, le cascadeur passe devant le Fight Co-Ordinator (“Fight Co”, qui gère les scènes d’actions avec les cascadeurs et les modifications éventuelles à apporter, et le Stunt co-Ordinator (“Sunt Co”), qui s’occupe de la préparation de ces scènes d’action.
Le but est de montrer ses aptitudes : le Fight Co va montrer deux ou trois fois une chorégraphie et le cascadeur doit se débrouiller pour la refaire avec son partenaire après une demi-heure de préparation.
Quelles sont les méthodes utilisées par les cascadeurs pour mémoriser les chorégraphies ?
Retenir rapidement des mouvements, ça se travaille et se développe avec l’expérience. Après 14 ans de cascade, Alex sent que les retenir est plus simple pour lui, ce qui ne va pas être le cas d’un débutant.
L’idée est de répéter quelques fois l’enchaînement, d’abord à vitesse normale, puis de plus en plus rapidement.
Mais la maîtrise de la chorégraphie, ça s’entraîne régulièrement hors des castings. Alex explique l’impact que la boxe anglaise a eu pour l’aider à faire des liens entre différentes combinaisons de mouvements.
Comment travailler son casting quand on est cascadeur ?
Quand il va à un casting, Alex sait de quelles cascades il s’agit.
Pour tout ce qui est chutes et acrobaties, il faut certes le travailler en amont mais c’est moins intensif : une fois qu’on sait le faire, on sait le faire.
C’est surtout la chorégraphie de combat qui se travaille très régulièrement. Il nous rencontre en avoir régulièrement fait avec Florian Beaumont, car c’est plus simple d’en faire avec quelqu’un qu’on connaît. Flore Magnier nous parle plus en détail de ce qu’est la chorégraphie de combat et de la différence avec les sports de combat.
Avoir un partenaire qu’on ne connaît pas demande plus d’adaptation et une bonne communication.
Et si un cascadeur tombe avec quelqu’un qu’il ne connaît pas lors d’un casting ?
Ca n’est pas arrivé à Alex, mais pour lui ce n’est pas très grave. Le Fight Co sait ce qu’il doit voir et il saura très bien distinguer celui qui arrive à bouger de celui qui n’y arrive pas, qu’il y ait de l’alchimie ou pas.
Le Fight Co et le Stunt Co vont surtout regarder le comportement du cascadeur, sa manière de bouger et s’il retient vite. Réactivité et adaptabilité sont deux points importants.
Quel est le protocole d’entraînement idéal d’un cascadeur professionnel ?
Alex s’entraîne quatre fois par semaine.
Il travaille le matin sa condition physique : de la mobilité au lever, puis de la musculation pendant une heure (Crossfit, EMOM deux fois par semaine pour pousser plus).
Le soir, il travaille ses acrobaties (parkour) ou ses techniques de combat (MMA, Grappling…)
Quelle est la préparation physique idéale d’un cascadeur professionnel ?
Pour Alex, il faut à la fois du cardio et de l’explosivité.
La masse musculaire est importante pour se protéger pendant les atterrissages en cascade, surtout quand on fait des chutes de hauteur.
“Plus t’es complet, mieux ce sera”.
Si un acteur doit faire du parkour et du combat, c’est bien d’avoir les deux. Mais ce n’est pas toujours nécessaire car, pour les films à gros budget, ils peuvent prendre plusieurs cascadeurs.
Quels sont les sports à maîtriser avant de se lancer dans la profession de cascadeur ?
Si Alex doit donner des conseils pour les cascadeurs en devenir, c’est de privilégier les arts martiaux traditionnels, comme le karaté, le Kung Fu ou le Wing Chun, afin de savoir se déplacer et donner des coups.
Les arts martiaux modernes, comme la boxe, le MMA ou le kick boxing, sont de bons apports pour compléter ses aptitudes, car ils sont sont très efficaces aussi.
La différence vient de l’attitude : un combattant de MMA et de karaté n’aura pas la même manière de se battre ou d’appréhender un combat.
Cette approche fait penser à notre conversation avec Nicolas De Paoli et de ce que représente pour lui être un athlète complet : de ne pas hésiter à mêler les disciplines, d’agrandir sa grille de lecture de la pratique du mouvement pour ne pas se cantonner à une seule vision.
Comment adapter et optimiser ses mouvements face à la caméra, quand on est cascadeur professionnel pour le cinéma ?
Devant une caméra, on peut tricher.
Si un cascadeur ne sait pas bien se déplacer, il est facile de couper les jambes au montage. Alex nous explique que si une scène de combat est filmée de près, cela peut très bien cacher des choses !
Ça n’empêche pas de se donner à fond, comme l’acteur Jake Gyllenhaal dans le film la Rage au Ventre qui a fait six mois de préparation. C’est typique du cinéma américain : les acteurs font de grandes préparations pour leurs rôles car l’industrie américaine a le budget et considère les cascades comme importantes. Dans le cinéma français, les acteurs privilégient l’acting, pas la cascade.
Cette importance de la cascade dans le cinéma a aussi un côté sombre que Florian Beaumont nous livre en parlant des cas de dopage dans l’industrie.
Quelle a été la cascade la plus dangereuse d’Alex ?
Plus la cascade est dangereuse, plus Alex est content de la faire, car ça le pousse à se donner à fond.
Sa cascade la plus dangereuse s’est faite sur le film Domino. Alex devait faire une défenestration de trois mètres de haut et tomber sur une maison au toit incliné.
Ce qui l’a rendue dangereuse a été le changement voulu par le réalisateur à la dernière minute : alors qu’Alex s’était entraîné pour atterrir sur des matelas, on lui a demandé s’il pouvait faire la même cascade sans les matelas, car il fallait finalement filmer aussi l’atterrissage.
C’est un cas très rare : s’il y a des changements, ils sont souvent mineurs.
Alex a accepté, malgré le danger : si le toit ne tenait pas, il risquait une chute de dix mètres supplémentaires. Il admet qu’il aurait dû vérifier la solidité du toit, ce qu’il n’avait pas fait.
Finalement, il a pu tourner cette cascade en one shot sans se blesser.
“C’était une belle cascade à faire.”
Le métier de cascadeur est-il suffisamment sécurisé ?
Le risque zéro n’existe pas. On peut se blesser sur une petite cascade. Pour Alex, la clé est de savoir jauger son corps : “Si tu te sens capable de le faire, tu y vas”. Cette capacité s’acquiert beaucoup avec l’expérience.
C’est une question d’adaptabilité, certains jours, il le sentira moins que d’autres, mais aussi une question d’affinité : certaines cascades ne sont pas agréables. Se faire percuter par une voiture par exemple est une cascade que beaucoup ne veulent pas ou plus faire !
Pourquoi a-t-il fait ce choix d’une vie de mouvement en s’orientant vers le métier de cascadeur professionnel ?
Alex aime la polyvalence du métier qui lui permet de faire plein de choses : de l’acrobatie ou des scènes de combat à la Jackie Chan.
En cascade, on ne fait jamais la même chose. Même les chorégraphies de combat sont toujours différentes. Il y a une phase de création qui lui plaît énormément.
Florian Baumont nous raconte la manière de rentrer dans l’univers du parkour et de la cascade.
Peut-on pratiquer la cascade à n’importe quel âge ?
Il est difficile de masquer l’aspect du temps dans le monde de la cascade. Selon l’âge et ce que l’on fait, on n’a plus la même intention de mouvement.
Pour Alex, faire du combat après un certain âge est possible, ou même du sparring, mais de manière plus légère.
Nous parlons d’une exception notable, Jackie Chan, “l’homme aux mille fractures”, qui a fait commencé très tôt les arts martiaux à la China Drama Academy, et qui a eu un parcours aux cascades plus impressionnantes les unes que les autres. C’est d’ailleurs lui qui a inspiré Alex de prendre ce chemin de vie dans la cascade.
Comment un cascadeur maintient-il sa condition physique entre deux tournages ?
L’activité physique, c’est une hygiène de vie : il continue à s’entraîner. Cela fait partie du métier s’il veut durer dans le temps. Bien sûr, c’est aussi important de laisser le corps respirer, mais il faut reprendre quoi qu’il arrive car un tournage peut arriver et ce sera de nouveau intense !
C’est l’approche d’Alain Couturier que de voir le mouvement comme une hygiène de vie, une pratique lifestyle : pour lui, il est important d’intégrer le mouvement dans sa vie sans protocoles particuliers, juste pour laisser son corps vivre et être libre.
Quels sont les outils de longévité d’Alex pour préserver son corps de cascadeur ?
- Le sommeil : Le repos est indispensable. Alex recommande d’ailleurs de dormir entre 7h et 9h, lui-même dormant entre 8h et 9h. Il conseille aussi l’achat d’un bon matelas pour protéger son dos.
- La mobilité : il fait entre une demi-heure et trois-quart d’heures de mobilité tous les matins. C’est aussi une pratique de Flore qui montre comment intégrer la mobilité 10 minutes dans sa journée.
- Le pistolet de massage : il en a acheté un de la marque Theragun. Depuis, il va beaucoup moins chez l’ostéo.
- Les mouvements d’haltérophilie dans ses entraînements : le clean and jerk, le snatch, le deadlift. Cela lui permet de faire un entraînement polyarticulaire à travailler en explosivité. Simon Hamptaux donne lui aussi des conseils pour travailler son explosivité.
Je donne une astuce reliée à ce type d’entraînements pour renforcer la chaîne postérieure : surélever ses pieds pour prendre la barre plus bas. Tirer plus bas et plus loin permet une plus longue amplitude et crée une barrière protectrice postérieure.
Pourquoi s’orienter vers un entraînement minimaliste, quand on est cascadeur professionnel ?
Contrairement aux idées reçues, nous ne nous entraînons pas pendant des heures. On n’a pas 1h30 dans la journée !
Il faut que ce soit court et que ce soit efficace : l’idée est que ça rapporte le plus de bénéfices en un minimum de temps. Il faut définir ce que tu fais et y aller pleine balle, tout en sachant s’arrêter.
On peut faire des EMOM en dix minutes, ou même s’entraîner trois fois par jour pendant quinze minutes.
L’art de s’entraîner, c’est l’art d’écouter son corps. Il n’y a pas de protocoles à suivre !
C’est aussi l’approche de Clément Lamirel : la pratique du mouvement ne doit pas être cloisonnée. Pratiquer une heure et ne rien faire après, ce n’est pas ça bouger !
Quelle alimentation privilégier lorsque l’on est cascadeur professionnel ?
Alex fait attention à ce qu’il mange. Il essaie d’avoir une alimentation diversifiée, avec beaucoup de viande et de poulets, mais aussi du poisson, des œufs, des légumes. Il a arrêté le grignotage : s’il a faim le soir, il se fait des bols gourmands au yaourt, banane, graines de chia, miel…
“Ne vous prenez pas la tête parce que nous on ne se prend pas autant la tête que vous”
Une alimentation saine, aux bons apports, c’est indispensable, mais l’idée, c’est de ne pas s’interdire de plaisirs non plus !
Le tournage de Matrix 4 : comment se déroule le travail entre un acteur et sa doublure officielle, sur un plateau de cinéma ?
Après Uncharted, il a été contacté pour être la doublure officielle de Morpheus dans Matrix 4. Alex nous raconte sa rencontre avec Keanu Reeves et la bonne impression qu’il lui a donné, et son quotidien sur le plateau.
Son travail consiste à être avec l’acteur qu’il double, le préparer aux chorégraphies et la lui faire apprendre avec les autres stunts. Si l’acteur n’arrive pas à faire certains mouvements, Alex doit les adapter pour lui. Si l’acteur n’arrive pas du tout à faire la chorégraphie, il la fait à sa place.
Une fois la chorégraphie montrée, Alex s’éclipse et laisse l’acteur faire le travail. Il l’observe, lui donne des conseils. C’est surtout un travail de répétition.
Alex travaille aussi avec le réalisateur. Si, souvent, le réalisateur voit les chorégraphies sur vidéo, il nous explique que la réalisatrice Lana Wachowski préférait voir la chorégraphie en live, afin de savoir où placer ses caméras. Une fois qu’elle sait ce qu’elle veut, les acteurs arrivent pour tourner.
En résumé, les chorégraphies sont généralement faites par les acteurs, mais les grosses scènes d’action sont souvent portées par les cascadeurs.
C’est un travail colossal : une scène de 5 secondes à l’écran peut représenter deux semaines de travail intensif !
Comment échauffer son corps quand on est cascadeur juste avant de tourner une scène d’action ?
Le problème avec le cinéma, c’est qu’on ne sait jamais quand on va passer. Les cascadeurs n’attendent pas sur le plateau, ils attendent ailleurs, dans une salle qui leur est dédiée.
Alex nous raconte qu’il est fréquent qu’on le prévienne cinq minutes avant. Mais, finalement, mentalement, il est déjà prêt : il sait ce qu’il doit faire, il l’a préparé. Le faire devant le réalisateur fait monter l’adrénaline, mais il a simplement à répéter sa chorégraphie le temps que tout soit mis en place sur le plateau pour s’échauffer.
Je lui demande s’il n’a pas d’ outils particuliers pour se réveiller très vite. Je prends l’exemple de Staiv Gentis et de son exercice pour activer le système nerveux le plus vite possible : faire 5 burpees le plus vite possible, 20 secondes de pause, puis de nouveau 5 burpees : ça t’arrache en une minute trente, mais ça te réveille !
Alex nous explique que, surtout avant une grosse cascade, il ne souhaite pas fatiguer son corps. Il fait quelques bonds, quelques pompes, des warm-ups pour être réveillé mais c’est tout : quand il sera devant la caméra, la cascade devra peut-être être refaite entre 4 et 10 fois, pour différentes prises de vue ou si la scène doit être refaite.
Quels sont les projets à venir d’Alex ?
Alex est dans un bon élan car il a beaucoup de travail. Il se laisse donc porter, garde la tête sur les épaules et fait attention à ne pas se blesser.
Il nous raconte avoir une nouvelle fois bossé avec Keanu Reeves sur le tournage de John Wick 4, dans la core team, c’est-à-dire l’équipe de stunt responsable de la création qui est là pendant toute la durée du tournage.
Cet aspect créatif lui plaît. Il envisagerait de devenir un fight choreographer, mais il laisse les choses venir à lui. Il a eu l’opportunité de travailler dans cette thématique là pour David Bell qui lui aurait dit “Ton avenir est tracé dans cette voie là”.